Une Yankie qui séche [PV: Ryoritsu] [END]

*Buuut ! C'est le combientième ?*
*Je sais pas j'ai pas compté, je lis, là !*
*Mais il est nul ce livre, j'ai décroché depuis tout à l'heure moi.*
*C'est pour ça que tu fais des boulettes de papiers, j'avais compris.*

Comme vous vous en doutez, il était deux heures de l'après-midi et le duo s'ennuyait violemment. Forcément, en pleine période scolaire, il n'y avait pas d'élèves en consultation, aujourd'hui il n'en avait même prévu aucun. Une journée creuse, en somme. Ils (enfin celui avec le plus de bonne volonté) avaient profité de la matinée pour mettre à jour les dossiers des élèves et même de certains professeurs qui venaient aussi le voir. C'était rare, mais ça arrivait quelques fois, et Ryô désespérait de voir dans leurs regards qu'il n'était qu'une animation marrante et utile à qui on refourgue tous les problèmes pour être totalement soigné après. A croire que les élèves étaient plus compréhensifs et plus respectueux que les adultes, alors que pourtant il y en avait beaucoup qui n'avaient jamais appris ces deux mots-là. Au moins ils étaient violents et directs, mais au moins ils disaient ce qu'ils pensaient et faisaient preuve de moins de perfidie que leurs responsables. Pour la peine, il bâclait et laissait volontairement sa partie sombre se lâcher sur leurs dossiers par vengeance purement puérile. C'est moi le psychologue, c'est moi qui sait, donc même si je vous invente des maladies imaginaires, vous êtes dans l'obligation de me croire. Heureusement qu'il n'y avait pas de personne mieux calée que lui sur cette planète, ce qui tenait du miracle étant donné qu'il ne connaissait pratiquement rien sur la psychologie, à part ses maigres études en faculté.

Et il ne savait pas non plus comment s'occuper un mardi après-midi dans un lycée vide. Ses collègues préparaient leurs cours entre deux heures, les élèves étaient pour la plupart en train d'étudier, les autres dehors à risquer leur vie, dans tous les cas tout son entourage se limitait à son bureau et des couloirs vides, un livre emmerdant les mains et des boulettes de papiers dans l'autre, face à la poubelle au fond de la pièce. Lire et jouer au basket en même temps, avouer que y'a que lui pour pouvoir faire ça ET s'ennuyer en prime. L'habitude, ça tue comme on dit. C'est là qu'un imprévu se manifesta. Il entendit une des boulettes qu'il avait mal visée et qui avait atterrit dans le couloir glisser. Une silhouette passa dans l'encadrement de sa porte (toujours laissée ouverte pour indiquer à ses potentiels patients qu'il était disponible). Heureusement que cette silhouette le haïssait suffisamment pour ignorer cette particularité, et par conséquent pour ne pas jeter un œil à l'intérieur.

Oui, l'absentéisme de Shizuka Ryotaku (même le fait que ce nom de famille ressemble à son prénom lui filait la nausée) et sa mauvaise volonté à se rendre aux rendez-vous expliquait bien que d'une part elle ne savait pas que porte ouverte = Ryô, et elle ne devait sans doute même pas savoir que c'était son bureau à côté de l'infirmerie. D'ailleurs, qu'est-ce que qu'elle venait faire ici ? D'accord, le fait qu'elle ne soit pas en cours à cette heure-ci n'avait rien de surprenant pour un tel personnage, mais qu'est-ce qu'une chef de gang venait faire à l'infirmerie ? Une dépendance quelconque à un médicament ? Elle avait ses règles (ben quoi, c'est une probabilité...) ? Dans tous les cas, son devoir était d'aller vérifier qu'elle ne fasse rien de louche. Il jubilait intérieurement (enfin, toujours pour la partie la plus sombre) de la coincer et de pouvoir écrire un sale truc sur elle dans ses dossiers. C'était peut-être assez irresponsable pour un Conseiller Principal d'Education, mais à cas désespéré mesures désespérées.

*Mais... mais elle est en train de voler des trucs !*

Justicier dans l'âme, pour l'autre partie il fallait agir maintenant et l'empêcher de faire une bêtise, mais voilà, le deuxième avait une bien meilleure idée. Il bloqua sa parole et le força à retourner se planquer dans le bureau, le tout suffisamment silencieusement et discrètement pour ne pas être repéré. Évidemment, Shizuka repassa dans le couloirs, dans le sens inverse cette fois-ci, et sortit à l'extérieur. Intéressant, ça, qu'est-ce qu'elle comptait faire de ces trucs ? Il avait sa petite idée derrière la tête, mais prévoyait de la prendre sur le fait. Il attrapa un appareil photo et commença à la prendre en filature.

Elle sortait de la zone protégée. Le bon Ryô surprit le second à espérer qu'elle se fasse attaquer par un monstre et qu'elle ne revienne jamais. Ce n'était pas bien, ça, d'accord lui non plus ne la portait pas dans son cœur, mais il ne fallait pas qu'il lui arrive de choses aussi macabres ! Même elle ne méritait pas de mourir... L'autre admit que sa mort serait fâcheuse. Il ne pourrait même plus la torturer et se venger s'il lui arrivait quelque chose. Maintenant elle entrait dans la serre, un bâton à la main. Il y avait de grandes chances que cela soit là sa dernière destination. Et ce crétin de Yuki qui n'était pas là pour surveiller, même pas de caméra installées pour le moment. Ryôritsu s'avança prudemment sans faire de bruit. Elle était là à dessiner sur sa blouse. Tout ça pour ça. Sans doute qu'Arisu avait refusé de lui en faire une, le gang de la petite n'était pas une idée plaisante par ici, on attendait tous qu'elle se calme avec ça.

Il prit une photo. Pour prouver, au cas où les choses tournaient mal, que c'était elle qui était en tort. Quoiqu'elle dise, qu'il ait pris ce scalpel et ce bâton et qu'il lui ai forcé à porter ces fringues pour la faire accuser, ce serait démonté par cet humble cliché. Et oui, il est pas si bête que ça en fin de compte.

*Tu peux fermer les yeux si tu veux, je suppose que je nous embarque dans un truc qui risque de mal finir, comme chaque fois.*

- Oï, petite ! Ça va, c'est drôle le coloriage ? Jolie petite fleur au fait, c'est à offrir à ton amoureux ?

Un adulte responsable n'aurait vu aucune utilité à la taquiner de la sorte, ça ne ferait qu'empirer les choses. Mais voilà, Ryôritsu était loin d'être responsable, pas sous cette responsabilité tout du moins. Et lui il voyait parfaitement tout l'intérêt de ce petit jeu : c'était jubilatoire, c'était exquis de faire sortir son ennemi de ses gonds. C'était tout bonnement irrésistible. Il la toisait, ricanant, surplombant la "petite" (l'insulte était bien évidemment employée exprès), les bras croisés, bien droit, jambes suffisamment écartées pour assurer un maintien solide. Avec elle, on était jamais sûr de rien.

- Mais justement, je suis venu pour t'y emmener. Un "hôpital psychiatrique", c'est l'endroit parfait pour toi, non ?

Un grand sourire de mauvaise foi vint accompagner la réplique. Bien sûr que ça faisait mal de se faire traiter de malade mental, mais avec le temps il pensait pouvait s'y habituer : cela faisait bien vingt ans qu'il l'entendait jour après jour. Et il était hors de question de montrer sa faiblesse à cette gosse, alors autant lui retourner la pique, sans rien laisser paraître qu'un grand sourire faux qui nie tout en bloc. Étrange ironie, entre personnes différentes du groupe ils devraient plutôt se serrer les coudes, pourtant l'un comme l'autre était suffisamment borné pour refuser de s'allier à l'autre et d'admettre qu'ils avaient un point communs, qu'ils avaient tous les deux un mode de penser à changer d'urgence, qu'ils étaient tous les deux insupportables à un regard extérieur.

Et puis, elle était vraiment horripilante. C'était presque devenu une nécessite de creuser le trou plus profondément encore chaque fois qu'il avait affaire à elle. Par protection ou par sadisme, à vous de choisir qu'elle était la personnalité de Ryôritsu en cause. Dans tous les cas, CPE ou non, il se devait d'être le dominant, c'était rien d'autre qu'une gamine en tort après tout. Il en allait de sa fierté... non, de son orgueil démesuré. Sauf que là, il était quand même désarmé.

- Bon, c'est pas tout ça, mais si tu voulais ranger ces deux joujoux où tu les as trouvés. Tu pourrais blesser quelqu'un, ce ne sont pas des instruments pour les petits.

Mais même sans armes, il n'allait pas se laisser marcher sur les pieds. Il continuait à appuyer là où ça faisait mal. Il savait que totalement assumée comme elle était, poursuivre dans les insultes par rapport au mental le blesserait plus qu'elle. Il avait quelque chose d'intensément plus efficace : la taille. Et heureusement qu'il était plutôt grand pour son âge, lui. Bien évidemment, il savait qu'elle ne lui obéirait pas. La haine était tellement poussée que ce n'était pas plus drôle qu'elle refuse, même si l'emmerder le plus possible était tentant, il préférait encore gagner la guerre contre elle définitivement. Elle ne lui obéirait sans doute pas quand même, il le savait pertinemment. C'était juste plus fort que lui.

« Jamais de la vie ! Yen à marre, CPE de mes deux ! Je vais te régler ton compte insolent !! »

Il y en a qui feraient vraiment mieux de prendre du recul par rapport à eux-même. S'il était insolent, qu'est-ce qu'elle était, elle ? Ça, il voudrait bien voir...

Sauf qu'il allait s'en prendre plein la figure s'il ne réagissait pas maintenant. Étant pour l'instant pratiquement seul dans sa tête, sa capacité de réaction était bien supérieure à l'habitude et à la norme, il n'eut aucun mal à stopper la barre métallique à quelque centimètres de sa tempe. Certes, la demoiselle y avait mis beaucoup de force, et il peinait à la retenir avec ses deux mains, mais au moins il avait empêché l'impact. De plus en tant qu'homme, en tant qu'adulte, encore heureux qu'il arrivait à faire face à une gamine.

- Tiens donc, tu attaques quelqu'un sans défense ? Beau sens de l'honneur, je ne te félicite pas.

Il ne perdait pas de vue le fait qu'il était désarmé, mais s'il pouvait au moins les mettre tous les deux sur un pieds d'égalité... Alors que la petite s'acharnait pour le faire plier en y mettant toute la force qu'elle avait, il eut une idée bien plus vive et efficace. Un bon coup de pieds dans le ventre, et on tire brutalement pour la faire lâcher. Comme il ne s'agissait que d'une simple barre en fer, elle n'avait aucune prise et glissa même plus facilement.

- Tu ne m'en voudras pas que je te confisque ça, alors. Les règles, ce sont les règles, je ne les ais pas inventés, tout élève surprit en possession d'une arme sera sévèrement réprimandé.

Et voilà comment on inverse les positions tout en restant dans la légalité (il est majeur, il est CPE, ce n'est plus un élève) : qu'elle essaye de l'avoir avec la minuscule portée que lui conférait sa deuxième arme, il était bien parti pour gagn...

Un bruit métallique le surprit lui-même. Plus de bâton dans les mains, celui-ci gisait à l'autre bout de la serre.

- Mais pourquoi tu l'as jeté, imbécile !? B-bah tu disais bi-bien que tu voulais ju-juste le confisquer... Oui, et je voulais aussi l'utiliser, moi ! Je t'avais dit de détourner ton attention et de me laisser faire !

Et bah. Y'en a un qui n'a toujours pas compris ce qu'est la mauvaise foi et l'ironie alors qu'il vit en colocation avec un bel exemple...

Et voilà. Il fallait s'y attendre, la voilà qui se bidonne. Sa partie dangereuse était rouge de honte, mais aussi de fureur. Oh, jamais il ne pourrait en vouloir à son compagnon (il n'allait quand même pas se haïr lui-même), qui se confondait actuellement en excuses télépathes, alors toute sa haine se reporta sur la gamine. C'était de sa faute s'il se retrouvait dans cette situation, c'était elle qui riait, mauvaise, parce qu'elle savait qu'il la regardait, elle savait ce que ça faisait de voir quelqu'un rire de vous. Elle le faisait en connaissance de cause, elle le faisait justement pour ça. Il la voyait là, par terre, à ses pieds, en train de se foutre de sa gueule. Il aurait sans doute dû agir maintenant, pour ne pas voir les positions inversées.

Maintenant c'était lui au sol, il ne comprenait pas ce qui s'était passé. Il ne comprenait pas ce qui se passait. Roué de coup, insulté, son orgueil de mâle en prenait gros. Il se sentait impuissant face à toutes ces atteintes, bloqué dans un corps qui souffrait trop pour oser se défaire d'une position recroquevillée, partagé par l'incompréhension et la douleur, pauvre gamin qui a trop semé le vent. Sur le flanc, les jambes instinctivement contre le ventre et les mains sur la tête dans une idée de protection, il restait abasourdi par le flot d'insultes qui accompagnait chaque fois le moindre coups. Il en perdit le compte, il en perdit la raison. A peine avait-elle une énième fois évoqué l'asile qu'il ne se contrôla plus.

Il attrapa sa cheville alors qu'il allait recevoir un autre coup de pieds. Il la tint quelques secondes, le temps de réaliser ce qu'il faisait et ce qu'il s'apprêtait à faire, une dernière seconde de raison, avant de mettre toute sa force pour la faire tomber. Agrippé à son col, il l'a plaquait au sol, la maintenait. Il ne pouvait pas la frapper dans cet état, il se savait, sans doute que sa moitié était en train de faire tout son possible pour l'en empêcher, elle qui se trouvait dans le même état mental que lui. Maintenant, il serait vraiment capable de lui briser quelque chose, la nuque, la tête : il lui suffirait de l'éclater contre un mur, sur le sol. Quand la haine était furieuse, tout ceci était bien trop facile. Mais sans même s'en rendre compte, bloqué, aveuglé, il appuyait sur son thorax de tout son poids, et alors qu'il avait dans la tête l'idée de la maintenir au sol, il était ni plus ni moins en train de l'étouffer...

Silence. Calme. Que se passait-il ? Pourquoi tout d'un coup cette adrénaline, cette action, cette frénésie, tout était parti. Tout d'un coup, il revu la serre, la lumière du jour, les fleurs, les plantes tout autour de lui. Et son élève. Sous ses mains. Inerte.

Horrifié il la lâcha, recula, pour lui laisser de l'air, espérant qu'elle se réveille, qu'elle ouvre les yeux, qu'elle tousse, qu'elle dise quelque chose, même une insulte. De toutes manières il n'était plus fier de lui. Mais qu'est-ce qu'il s'était passé, bon sang ? Qu'est-ce qu'il avait fait de mal ? Il avait juste voulu la calmer, la bloquer, simple auto-défense pour ne plus recevoir de coup. Ce n'est pas ce qu'il voulait en entamant la dispute, ce n'était pas la tuer qu'il voulait.

*Et pourtant, c'est toi qui l'a étouffée...*

- MERDE, MERDE, MERDE, MERDE, MERDE !

Il frappa du poing contre le sol, la douleur parcouru son bras. il ne dit rien d'autre, la douleur le sonna. Tout était bien réel, alors que devait-il faire ? Il ne savait même plus ce qu'il avait fait précisément, alors comment pouvait-il savoir ce qu'il fallait qu'il fasse maintenant ? Il n'y comprenait plus rien, il voulait juste retrouver le calme dans ses pensées, ne plus se sentir coupable, être tranquille, juste tranquille...

En tremblant, la partie encore innocente de lui prit le poignet de la jeune fille, chercha son pouls. Il constata avec soulagement que bien que faible, il était toujours présent. Il s'approcha, hésita encore un instant, déboussolé, avant de baisser son masque, sans doute qu'elle respirerait mieux. Il n'arrivait pas à croire que ces mains qu'il était en train d'utiliser pour la soigner étaient celles qui l'avaient mis dans cet état. Même s'il avait tout vu pendant que l'autre devenait fou, même s'il avait assisté à la scène du meilleur point du vue, il ne pouvait toujours pas y croire. L'autre avait un tempérament violent, mais jamais il n'était allé aussi loin, il ne comprenait pas. Tout ça pour des insultes ? Tout ça pour des insultes. Au bout d'un moment, aucun des deux n'avaient plus pu le supporter. Envie de vengeance, envie de faire mal. Et voilà.

Après une dizaine de minutes, il arriva dans son bureau qu'il referma à clé, l'installa sur les deux chaises qui s'y trouvaient, la sienne et celle réservée à ses "patients". Non... il ne pouvait pas l'emmener à l'infirmerie. Qu'est-ce qu'il pourrait bien leur expliquer ? Qu'il a étouffé une élève ? C'était lâche, c'était faible, mais il ne pouvait pas se résoudre à tout foutre en l'air. Le climat sur la planète était "survie" et c'était exactement ce qu'il faisait. Et de toutes manières, cette petite infirmerie bricolée avec les moyens du bord par des adolescents n'était certainement pas équipée pour ce genre de cas. Cela n'aurait servi à rien d'y aller, alors il n'empirait en rien l'état de la petite.

Et maintenant ? Qu'est-ce qu'il faisait ? L'autre ne répondait pas, il s'était totalement retranché ailleurs, endormi pour quelques temps. Qu'est-ce qu'il dirait à Shizuka quand elle se réveillerait ? Et si quelqu'un les surprenait ? Sans parler des affaires de la jeune fille qui étaient restées dans la serre...

Une heure. Une heure passa rapidement, assis par terre, la tête dans les mains, n'arrivant plus à se tenir debout. Il ne pouvait pas sortir, il ne pouvait demander de l'aide à personne. Il était coincé dans cette pièce... A moins que. Une heure et une demi-heure passèrent avant que ses pensées ne se clarifient et qu'il ait une idée. Peut-être qu'en utilisant son TS, il pouvait aller voir si les dommages étaient si importants, si elle était en mauvais état physique ça devrait bien se répercuter sur le mental. Il approcha la main de son front avant de se stopper net. Un mouvement sur le visage de la gamine. Elle ouvrait les yeux.

Évidemment, les nanas qui se réveillent et qui te sortent "Mais qu'est-ce qui s'est passé ?", ça n'arrive que dans les films. Pourtant, ça l'aurait vraiment arrangé que ce soit le cas ici présent. Comment pouvait-il se faire pardonner d'une élève qui le haïssait déjà suffisamment auparavant et qu'il venait d'essayer d'étouffer sur une pulsion meurtrière ? Il n'allait tout de même pas lui dire "pardon d'avoir voulu te tuer, tout à l'heure" ! Sérieusement. Après un moment de silence, il se décida à entamer tout de même la discussion, c'était tout ce qui lui restait à faire, vu la façon dont elle avait rejeté sa main et comment elle essayait de le fuir dans ce petit espace clôt. Et après tout, vu l'état dans lequel elle était cette situation allait rester inconfortable pour eux deux. Et c'était à lui de s'excuser et de la rassurer... dans la mesure du possible. Essayons déjà de s'excuser.

- E-écoute je... Tu ne vas sans-sans doute pas vouloir me croire, m-mais...

Il prit une grande et profonde inspiration. Il savait bien qu'il y avait une forte probabilité qu'il courre ici là à sa perte. Enfin. Quoique, elle n'avait pas récupéré toute sa forme physique, peut-être qu'elle l'épargnerait... De toutes façons, en tout bon naïf qu'il était, il se devait de le dire.

- Je suis... v-vraiment... désolé...

Il s'excusait pour le comportement de son autre personnalité, mais ça comptait quand même. Il savait mieux que quiconque que Black regrettait autant son geste que lui. Et il avait une petite part de responsabilité, il n'avait pas réussit à l'en empêcher, et il avait été tout aussi blessé par ces atteintes physiques et surtout mentales...

"Je savais que j'aurais pas dû et que ça ne marcherait pas..." Et pourtant tu l'as fait en connaissance de cause. Ne viens pas te plaindre de récolter les fruits de tes semences. D'un autre côté, qu'aurait-il pu faire ? Il préférait encore s'excuser que lui dire que c'était de sa faute à elle, qu'elle avait commencé, que c'était elle qui l'avait poussé à bout, petite fille insupportable et immature qui agit comme il lui plaît sans s'attendre aux conséquences. Pourtant, malgré l'intensité avec laquelle il pouvait la détester, il n'en demeurait pas moins qu'actuellement il avait pitié d'elle. Ici c'était elle la victime, elle qui avait peur, terrée dans un coin de la pièce, muette, agressée, étouffée et non lui, lui qui s'était fait roué de coups, humilié, qui venait de recevoir plusieurs objets, le bureau dans un état pittoresque, dévasté.

En fait, c'était à se demander s'il n'y avait pas deux victimes et deux bourreaux chez ces deux personnes.

Après quelques instants d'hésitations, ne recevant plus d'objets, il se décontracta, cessa le repli. Sans pour autant se lever, il va de soi. Cela ne ferait que la faire paniquer d'avantage, il ne fallait surtout pas lui faire peur, il fallait rester inférieur à elle pour qu'elle se sente en confiance. Plus facile à dire qu'à faire, quand on a reçu des objets lourds sur la tempe, griffant sur la peau, qu'on est couvert de bleus et de saignements peut-être bénignes, mais douloureux quand on multiplie la sensation sur tout le corps. Il aurait voulu se venger, mais il avait récupéré suffisamment de raison pour ne pas vouloir se venger, surtout pas. Il avait compris la leçon. A quatre pattes, toujours en évitant de se relever et de paniquer la petite rien qu'avec sa taille et sa corpulence masculine plus importante, il attrapa une boîte de mouchoir épargnée sur son bureau, en plaqua un sur son arcade sourcilière saignante, partie particulièrement généreuse en cas de saignement, si vous me comprenez. Même si c'était celui de son ennemi, la vue du sang pouvait être stressante également, et il fallait bien qu'il fasse quelque chose pour empêcher le flot qui lui empêchait d'ouvrir son œil gauche et qui risquait de faire des tâches suspectes qui intrigueraient sans doute les autres, si jamais il parvenait à empêcher Shizuka de tout raconter.

- Ce... Celui qui t'as attaqué, est plus... plus là...

Il brisa le silence qui s'était installé, constatant que Shizuka ne bougerait pas d'elle-même. La situation était étouffante et il n'en pouvait plus. C'était le seul à pouvoir parler donc... parlons.

- C'était... C'était une erreur, d'accord. Mais ad-admet que toi aussi tu étais quand même un peu... un peu fautive. Tu... Tu m'as insulté, j'ai mal réagi. On est allé trop loin... tous les deux...

Il sentait qu'il n'aurait pas dû dire ça. Que rejeter la faute sur quelqu'un, ou plutôt la partager, ne donnerait rien de bon. Mais qu'importe, après tout. Il disait la vérité, non ?

: T'avais qu'a pas me suivre :

- D'un-d'un autre côté, tu n'avais pas à... comment dire... vo-voler tout ces trucs.

Même à White il arrive d'être sarcastique, avec une tête innocente et gênée, certes, mais il n'est pas si naïf non plus. Surtout quand il est dans le rôle du justicier qui remet les adolescents dans le droit chemin, c'est à dire dans son rôle idéalisé de CPE. Par ailleurs, la miss semblait avoir repris le dessus, elle engageait la discussion, elle avait renoncé à l'idée de s'enfuir ou n'avait toujours pas eu l'idée d'utiliser son TS sur lui. Tant qu'il restait suffisamment loin d'elle, assis au sol toujours, qu'il ne faisait pas de mouvements brusques, il pouvait parvenir à un accord, à la calmer, lui faire dédramatiser tout ça...

Mouais, il n'en reste pas moins qu'il avait tenté de l'étouffer. Il préférait ne plus y penser, refouler cette idée loin de son esprit, se dire que ce n'était qu'un accident qui ne se reproduira plus. Déjà que quand Black se sera décidé à refaire surface, ce sera sans doute lui le plus affecté et qu'il devra encore se remettre à dédramatiser quelqu'un, le consoler... C'était encore moins évident que réconforter la victime, surtout quand ce sont vos mains qui ont agit et votre cœur qui s'est emballé, et quand il y a un tel raisonnement émotionnel avec la "personne".

Il devait avoir posé une colle à Shizuka car celle-ci ne répondit pas. Sans doute que ça ne valait pas la peine d'être écrit sur papier, même elle devait savoir combien leurs disputes, bien qu'irrésistiblement tentantes à provoquer, étaient futiles. Ce temps lui avait permis toutes ces pensées, appréhensions, et il revenait tout d'un coup à ses pensées. Il secoua la tête, se concentra de nouveau puis repris.

- Crois-moi, je... je regrette vraiment ce qu'il... ce qu'on a fait. Et-et si on passait un accord ? Si jamais je-je refais preuve de violence phy-physique, tu pourras raconter tout ce qu'il s'est passé. En-en revanche, si tu fais preuve de violence, tu t'engages à passer dans mon bureau.

L'honneur est une fierté pour un yakuza, non ? Lui aussi se jurera de prévenir Black de ce marché pour réduire sa violence.

- Bien-bien sûr, si ni l'un ni l'autre n'entend parler de-d'une action violente de l'autre, le marché n'est pas valide...

Pointe d'humour, pourtant vrai. Même lui, si l'accident n'a aucune chance de parvenir aux oreilles de Shizuka, dur de dire s'il respectera le contrat.

- Co-comme ça, il y aura un réel moyen de nous départager pour savoir qui est le plus dangereux.

*Elle prend carrément le temps de m'insulter ? Eh ben...*

A l'écrit, en général on réfléchit à ce que l'on dit et on essaye d'être le plus rapide, surtout quand c'est notre seul moyen d'expression envisageable sur le moment. Alors rajouter une insulte, il ne pouvait que le prendre comme une sincère volonté de la jeune fille de mettre un écart entre eux. Décidément, il avait vraiment du mal avec les gens, et cette fois personne derrière qui se cacher. Comment pouvait-il lui faire comprendre que même s'il ne la portait pas non plus dans son cœur, ses intentions étaient pacifistes ? Au moins, elle acceptait leur trêve. Sauf qu'elle ne refusait pas d'user de violence contre d'autres camarades, et si elle faisait encore parler d'elle on le forcerait lui à aller la traîner dans son bureau et à lui faire la morale, quand bien même il n'en aurait aucune envie. Mais c'était comme ça, c'était son boulot, et il était assidu et droit. N'empêche que...

Il soupira, se calma et essayait une nouvelle fois de se défendre. Il n'avait pas proposé cette trêve parce qu'elle l'embêtait, mais pour que l'accident de s'ébruite pas.

- Tout ce que je veux, c'est que tu sache que c'était un accident, tout à l'heure. Je jure que ça n'arrivera plus, ni à toi ni à qui que ce soit d'autre. Et si je manque à ma promesse, là tu pourras tout leur raconter.

Il leva les yeux vers elle, puisqu'il était toujours au sol.

- Tu peux faire ça pour moi ? Juste pour cette fois. Je ferais ce que tu voudras en échange.

Un nouvel avion. Jusqu'à quand est-ce que cela durerait ? Tout ce qu'il voyait lui, c'est qu'ils avaient l'air stupides. D'accord, elle ne pouvait plus parler... Mais tout de même, ça faisait stupide. Surtout que ces mots étaient souvent puériles et destinés à rajouter sans cesse de l'huile sur le feu qu'il essayait désespérément d'éteindre. Elle voulait le brûler vif ou quoi ? Qu'est-ce que c'était encore, cette fois ?

: Très bien, tu va devoir m’obéir au doigt et à l’œil si tu ne veux pas que cela s’ébruite, chez nouveau chien. :

- Hih !! Je ne peux pas !

C'était sorti tout seul à la lecture de la lettre. Non sérieusement, ce n'était pas qu'il ne voulait pas, mais qu'il ne pouvait pas. Il faut pas croire, ce genre de moment de solitude c'est très rare et ça ne se commandait pas. Et jamais, JAMAIS, son colocataire n'accepterait pareille chose. Il lui passerait un sacré savon qu'il préférait ne même pas imaginer. Pourtant... A moins de refaire usage de violence sur elle, il ne voyait pas d'autre moyen pour l'empêcher de tout divulguer à qui veut l'entendre que de faire ses quatre volontés. Comme elle l'avait si bien fait remarqué...

- C'est... C'est d'accord.

*Tu me remercieras. Tu me tueras aussi au passage, mais au fond tu me remercieras d'accepter...*

Si déjà il arrivait à garder ce secret, il serait content. Non parce que se mentir à soi-même c'est pas toujours facile. Certes, ils avaient développé un mental particulièrement surprenant qui rendait cette tâche possible, mais pas aisée.

- Mais-mais uniquement quand je serais seu-"seul". C'est tout-tout ce que je peux promettre.

On ne peut pas promettre pour quelqu'un d'autre, non ? Eh bien là c'est pareil. Si au moins elle se retenait d'y faire allusion quand l'autre était réveillé, ça irait, peut-être le secret restera-t-il gardé. Ah, pourquoi devait-il payer alors que c'était la faute à l'autre, principalement ? C'est comme ça, il s'y était accoutumé à force, à son rôle de jardinier qui replante et s'occupe du dédommagements après la tempête...

- C'est promis... Donc-donc je peux t'ouvrir... hein ?

Question stupide. Mais c'était pour vérifier qu'elle ne comptait vraiment pas le trahir juste derrière. Mais ça restait stupide : même si c'était dans ses intentions, elle ne le dirait pas.

Et voilà qu'elle éclatait de rire. Ryô était rouge de honte et aurait préféré fuir à l'autre bout de la planète, le plus loin possible de la pension, plutôt que de dire ce qui suivit.

« C'est... C'est d'accord. »

Il pensait bien à son double qui ne le lui pardonnerait pas. Mais il pensait aussi à combien Shizuka était odieuse et combien il se sentait impuissant face à elle. Lui qui pourrait pourtant la tuer si facilement, comme il avait faillit le faire tout à l'heure de ses simples mains. Où était-il, le héros qui voulait remettre les gosses dans le droit chemin ? Il est là, déchu au rang du servant docile d'une petite garce. Peut-être prendrait-il cela à son avantage pour lui parler... Qui sait. Mais qui sait ce qu'elle compte lui faire faire.

Au moins, elle acquiesça : cela resterait leur secret, entre eux, qu'il allait se cacher à lui-même. Pourtant il n'y aurait pas cru, rien ne l'avait obligée d'accepter. Peut-être n'avait-il pas totalement perdu emprise sur elle... S'ensuivit des gestes bizarres qu'il interpréta comme une promesse. (Déjà que Ryô il perd le fil avec un délire explicite à l'oral, si vous lui faire un délire en langage des signes c'est pas la peine d'espérer qu'il comprenne quoique ce soit, si ce n'est la fin qui ressemblait vaguement à une promesse, donc.). Puis un papier tomba devant lui, et sans se douter de rien il le ramassa, le mépris de Shizuka lui passant au travers pour le moment.

| Lorsque tu sera seul dans ta tête tu m’appellera maîtresse. Si je vois que tu ne le fais jamais même si tu es seul juste pour éviter tes obligations envers moi, je dirai tout à l’autre bâtard et tu te débrouilleras avec lui. On refera un accord, ou je dirai tout. Me suis-je bien faite comprendre ? Chien |

- Ce... C'est pas un bâtard.

Il marmonnait d'une voix très basse, tremblante légèrement, pour la simple raison qu'il n'aimait pas la violence verbale et prenait toujours soin de peser ses mots. Et quand il ne trouvait pas le temps de le faire : bégaiement mal assuré. Il répéta, plus fort.

- Tu ne le traites pas de "bâtard". Appelle-moi ton... ton chien, ton serviteur, un moins que rien, un pouilleux, un servant ou tout ce qui te passe par la tête, mais pas lui.

"L'autre c'est sacré". Ils s'idéalisent l'un l'autre, en fait. Et pour lui, la moindre offense à l'autre est perçue pire encore qu'une attaque à sa personne. C'est logique. C'est la même personne, au fond. Alors pourquoi accepter quand même de tout prendre sur soi ? Dieu sait combien leur contradiction est incompréhensible, chez eux.

- Ou cette fois, tu ne te réveilleras pas. Ni dans ce bureau, ni nul part.

Il lui rappelait subtilement l'accident. C'est la même personne. Ils entrent dans le même état lorsqu'on les y pousse. L'échelle est simplement différente...

Elle balança son bloc par terre. Qu'importe, il ne le lu même pas. Ce devait encore être une insulte ou une autre méchanceté, il commençait à s'y faire. Et puis, elle n'eut pas besoin de lui écrire ce qu'elle voulait, il comprenait très bien.

Il soutint son regard avec insolence sans un mot, sans autre arrière pensée que la simple volonté d'imposer un certain respect, mais il se leva tout de même pour s'exécuter. Oh ça, pour sûr, il aurait pu prendre les clés qu'il avait dans la poche et les lui balancer au visage pour qu'elle ouvre elle-même, mais il était responsable et réfléchi, contrairement à l'autre qui l'aurait sans doute fait. Cela ne servirait à rien, autant faire ce qu'elle demander pour ne pas envenimer les choses. Tout ça n'avait que trop duré, il était temps d'y mettre un terme et maintenant qu'il avait fait entendre ses conditions, il pouvait bien accepter toutes les volontés puériles de sa nouvelle "maîtresse".

Le clés tintèrent dans la serrure, deux clics et il ouvrit la porte, puis se retourna vers elle, le menton relevé mais les yeux au sol. Par prudence il ne sortit pas, madame pourrait bien y voir à nouveau de l'insolence d'oser passer avant elle. Et puis, c'était elle qui voulait sortir. Aux dernières nouvelles, il était supposé rester là, lui. Tout du moins, rien ne l'attendait ailleurs.

- Vous... Pouvez passer, "maîtresse".

Rien à faire, il trouvait toujours ce petit jeu puérile. Mais pour protéger leur secret, il fallait bien au moins ça. Ce n'était pas bien méchant après tout...