Ryô & Ritsu

I. Je suis comme je suis, si ça vous plaît pas j'ai qu'à vous faire culpabiliser de ne pas être d'accord avec moi.

2009 dans un petit cabinet de psychologue. Un adulte de la quarantaine aux cheveux gris coupés à raz tapait son stylo contre sa main avec une mine pensive. Bien que son esprit fut ailleurs, ses yeux étaient rivés sur un couple de parents, ses "clients". L'homme avait les cheveux d'un noir profond, la mère des cheveux châtains courts et portait son enfant sur les genoux. Un peu inquiet, le seul qui ne semblait pas comprendre l'ambiance était bien cet élève de primaire, dont les yeux passaient du docteur à ses parents.
- Hmm... C'est assez étrange.
Finit par lâcher l'homme, toujours songeur. Ses deux principaux interlocuteurs se turent et lui firent comprendre par le regard qu'il fallait qu'il leur en dise plus.
- Ce n'est pas vraiment un dédoublement de personnalité, cela ressemble plutôt... à un ami imaginaire. Son esprit s'est en quelque sorte scindé en deux de manière parfaitement équitable, et chaque partie croit que la seconde est une autre personne qu'elle imagine.
- Et... il va guérir ?
Avec un soupçon d'inquiétude dans la voix, la jeune femme n'avait pu se résoudre à laisser le silence planer. Une question, la question que tout proche demandait lorsque l'un n'allait pas bien. Le psychologue laissa un moment de silence durer, ne semblant pas avoir entendu la question. Il sembla réfléchir de nouveau, avant de finir son petit tic du stylo et de se redresser bien face à eux, leur parlant d'une voix calme, mais légèrement soucieuse.
- Je ne sais pas. Peut-être. Le problème est qu'il n'a pas de réelle personnalité, il est impossible de considérer que l'une est supérieure à l'autre, et les deux sont éveillées en même temps. La seule solution, ce serait que les deux finissent par se ressembler jusqu'à n'en être plus qu'une ou que l'une finisse par s'estomper et disparaître. Mais je ne sais pas si cela arrivera, c'est la première fois que je suis face à un cas de ce type.
- Maman, est-ce que c'est grave ?
L'enfant avait finit par prendre part à la conversation. Le sérieux des adultes commençait à lui faire un peu peur et il se disait que s'il demandait à sa mère, comme il s'agit de la personne rassurante et chaleureuse, elle lui répondrait que tout allait bien. Elle lui fit un petit signe indiquant qu'il fallait se taire, mais il eut une réponse presque aussitôt. Ce n'était pas sa mère qui avait parlé et il dût tourner les yeux vers cet homme étrange qui lui avait posé toutes ces drôles de questions un peu plus tôt.
- Et bien... Ce n'est pas grave dans le sens où tu risque d'en souffrir physiquement, mais là tu n'es pas comme les autres...
- C'est pas bien de ne pas être comme les autres ?
- En fait, les autres enfants risquent de se moquer de toi et ne voudront pas jouer avec toi.
- Heiiiin !? Pourquoi ?
Il s'était tout à coup redressé sur sa chaise, paniqué. Comment ? Qu'on se moque de lui ? Qu'ils soient tous les deux seuls ? Mais pourquoi ? Et l'année scolaire qui commençait bientôt ! Qu'est-ce qu'il allait faire ? Le docteur lui, ne trouvait pas les mots à utiliser face à un enfant de 5 ans.
- Tu risque... de leur faire peur...
A ce moment là, le petit garçon parut soulagé et sourit.
- Ça ira, je ferais attention à ce qu'il ne fasse pas n'importe quoi !
- Ce n'est pas vraiment ce que je voulais dire... Enfin, je pense que l'on peut essayer de résoudre ça avec des rendez-vous. Il est encore jeune, ça peut marcher.
Il s'adressait aux parents, qui promirent d'y réfléchir.

Mais à la maison...
- Dis, Maman, Papa, on veut pas être plus qu'un.
Pas très rassuré, hésitant, le petit homme s'était rapproché de sa mère, aux fourneaux. Son père regardait la télé à côté tout en travaillant. Elle ne le regarda pas et se contenta de sourire en apportant sa réponse, mais le fait qu'elle se soit retenue de répondre clairement à son fils ne voulait dire qu'une seule chose...
- "Je", on dit. Pas "on".
- Mais on le pense tous les deux !
Lui il était vraiment persuadé de ce qu'il avançait. Il ne comprenait toujours pas ce qui clochait chez lui, il avait toujours été comme ça, au début ça faisait même rire tout le monde alors pourquoi ? Pourquoi tout à coup, sous prétexte qu'il allait faire la connaissance de nouveaux enfants, cela posait problème ? Sa mère lâcha la cuillère qu'elle remuait et tourna la tête vers lui, en lui ébouriffant les cheveux.
- Écoute, il n'y a pas de "deux", c'est dans ta tête.
Le garçon se laissa faire et ferma les yeux, ça lui redonnait confiance en lui. En eux. Il répondit un peu plus sûr, sans tomber dans l'insolence que l'on pourrait imaginer. Il était peut-être juste un peu bougon, sûr de ce qu'il avançait et commençant à être las de ne pas être compris.
- Comment tu le sais ? Tu y es pas, dans ma tête.
Elle soupira et elle s'agenouilla pour arriver à son niveau. Son sourire avait pris des connotations plus sérieuses, sa voix aussi et sa main était tombée jusqu'à celle du petit pour la lui prendre, tandis que sa deuxième prenait l'autre.
- Regarde toi. Tu vois tu n'es qu'une personne, il n'y a qu'un corps.
- Mais on l'utilise pareil !
Protestation de son enfant. Il ne comprenait toujours pas pourquoi ils ne pouvaient pas comprendre. Il n'y avait qu'un corps mais ils étaient tous les deux dedans et il était à eux deux. Pourquoi l'un devrait disparaître ou partir ? Ou pourquoi devraient-ils tous les deux changer pour se fondre l'un dans l'autre ? Ça n'avait strictement aucun sens, ils ne faisaient de mal à personne et ils avaient le droit de rester, ils étaient tous les deux nés avec ! Et ils s'entendaient bien ! Ses réflexions furent rompues par la voix de sa mère, plus coupante, en colère.
- Je t'ai dit d'arrêter tes "on" !
Ce ne sembla être qu'une impression, puisqu'elle reprit patience ensuite. Elle ajouta calmement, en tirant les deux mains de son enfant pour les faire pointer la jeune femme, le faire comprendre qu'il fallait qu'il ouvre les yeux et regarde comment ça marche chez les autres.
- Regarde ton papa et ta maman, eux ils sont tous seuls. Ce sont deux personnes. Pas quatre.
- Mais nous, on...
- Arrête tout de suite de dire "on" !
Retentit à ce moment là un bruit léger, ce n'était pas un bruit sourd, ce n'était pas un bruit dur... Mais sa joue gauche lui fit mal, et il ne réussit pas à saisir ce qu'il venait de se passer. Il ne s'y était tout simplement pas attendu. Il ne l'avait vu que dans les livres et sur la télé. Jamais sa mère ne l'avait frappé... jusqu'à maintenant. Il la regardait dans les yeux. Elle ne souriait plus. Elle lui faisait peur. Il porta sa main gauche qui avait été libérée pour l'acte et effleura cette parcelle de peau de son visage qui le faisait souffrir. Elle était douce. Elle ne saignait pas. Mais il avait beau la caresser, la douleur restait bien présente, irréelle. Le silence se fit, son père s'était redressé et les fixait avec un air entre le choc et la panique. L'enfant balbutia, plus sûr de rien.
- Ma-maman...
- Hé, ce n'est peut-être pas une raison pour s'énerver ! Laisse faire les psychologues...
Son père se rapprocha, hésitant, pas très sûr de comment réagir dans ce cas-là. Mais frapper leur enfant, il était complètement contre, mais il restait encore un doute. Que s'était-il passé ? Il n'avait pas suivi la discussion. Tout ce qu'il avait entendu, c'était une gifle et un brusque silence dans le fond. Alors il ne voyait pas bien que faire. Son épouse, ne semblait pour l'instant montrer aucuns remords. Pire encore, sa réplique suivante fut.
- C'est mon enfant, et je veux qu'il redevienne normal !
- Maman... Maman ! Je te déteste ! Je te déteste ! "Lui" au moins il est gentil avec moi ! Et je serais jamais comme les autres !
Le garçon explosa en larmes, il criait, et ses poumons se chargeaient d'ajouter à sa voix plus d'ampleur. Il monta en courant à sa chambre, ferma sa porte et se plaqua contre elle, faute de verrou. Sa joue le brûlait, mais plus encore il avait mal quelque part dans sa poitrine. Le cœur peut-être. Il sanglotait avec intensité et se serrait en boule pour contenir ses frissons. Il avait mal, mal pour deux, de ne pas être accepté comme il était, d'être si jeune confronté aux horreurs de la vie en communauté. Il avait peur, peur de devoir changer, peur de perdre ses propres caractéristiques, ses repères. Il réussit à contenir ses sanglots et marmonna entre ses dents.
- Maman... Idiote ! Idiote ! Si tout le monde a peur de moi et me déteste, tant pis ! Je ne serais jamais tout seul ! Jamais !

II. La vie, les études, les potes c'est pas si compliqué qu'il n'y paraît. Faut juste éviter de se retrouver sous une pluie de météorites.

13 ans plus tard. Le dortoir d'une université. Une chambre de jeune adulte en pagaille, dont je ne décrirais pas tout (caleçons, livres X, affaires éparpillées, posters de groupes obscures...). Vu le nombre de lits, difficilement reconnaissables au milieu de toute cette "pagaille", on peut en conclure qu'il s'agit d'une chambre pour deux. En plus, il y a justement deux personnes, ça tombe bien. Ici, en cette heure où le soleil brillait encore en extérieur, un premier jeune homme aux cheveux rouges secouait énergiquement son colocataire, lequel semblait être déjà endormi.
- Ryô ! Ryyyyyoooo ! Allez, bouge-toi !
- Kessiya... ?
Le second pensionnaire ouvrit enfin lentement de petits yeux bruns et passa son bras devant ses yeux, gêné par la lumière du jour qui n'avait pas encore décrût à l'horizon, étant donné l'heure très tôt où ils avaient dû s'endormir. Son ami sembla indigné et s'arrêta, mais continua de crier et de le maintenir par les épaules étant donné le fait qu'il ne semblait pas avoir remarqué la gravité de la situation.
- Comment ça qu'est-ce qu'il y a !? Tu veux dire que bruit ne t'a pas réveillé !?
- Kelbrui... ?
- Mais cet énorme boum, bon sang !
Il le secoua plus violemment encore pour l'empêcher de se rendormir. Dents serrées, sourcils froncés, teint rouge et front en sueur : on voyait bien qu'il paniquait et que ça avait l'air plus que sérieux, mais ça, le châtain n'y faisait même pas attention, trop dans le gaz pour daigner le regarder et laisser la lumière l'éblouir une seconde fois. Il profita d'un moment de pause du roux (qui attendait toujours une réponse et avait fini par arrêter de le secouer comme un prunier afin de le laisser réfléchir), pour se retourner sur le côté et lâcher d'une voix lasse.
- T'as encore dû rêver... Recouche-toi, je te rappelle que y'a un exam' super tôt demain...
- Raah, mais t'es con ou quoi ? Regarde, ça c'est quoi !
Là, il n'en pouvait plus, c'était une vraie course contre la montre maintenant ! Il le força à se placer en position assise et le plaqua devant la vitre, dont il avait déjà ouvert les rideaux précédemment quand lui-même venait de se réveiller. Cette fois-ci, cela eut l'air de marcher, l'endormi perdit sa fatigue après un petit mouvement de surprise devant l'ouverture du sanctuaire de lumière qu'était la ville extérieur.
- Huh..? Lla p-police ? ... Qu'est-ce que t'as encore fait ?
Étrange non ? Et oui, à l'intérieur de cette seule réplique, le ton avait radicalement changé, tellement qu'on se demanderait si ce n'étaient pas deux personnes différentes qui avaient parlé l'une après l'autre... Cela dit, habitué, le deuxième pensionnaire de chambre ne sembla pas y faire vraiment attention, ni même ne serait-ce que le remarquer.
- Mais c'est pas pour moi ! Regarde le ciel !
Les deux yeux bruns s'ouvrirent en grand, brillants pleins d'étoiles et... encouragés par une référence à deux balles.
- Waaa, c-c'est comme d-dans S-Starwars !
- C'est pas le moment de t'extasier !! Vite faut se barrer, prend ce qui te tombe sous la main !
Il attrapa deux ou trois affaires à son coloc' et les fourra dans son sac pour faire avancer les choses plus vite, puis le prit par le poignet pour enfin les faire sortir d'ici tous les deux. "L'enlevé" trouva son mot à dire tout de même, une fois sa fan attitude de Starwars passée.
- Mais qu'est-ce qui se passe bordel ?
- J'en sais rien moi ! Mais plus de la moitié de l'école s'est déjà barré !
- T-t'es resté p-p-pour moi ?
Le blondinet rougit tout en souriant et en se prenant la visage dans ses mains. C'était surtout pour l'énerver, il savait que son ami et partageur de bordel de chambre détestait les trop grandes familiarités.
- Remballe ces idées bizarres !! C'est juste que j'allais pas laisser un pote quand même !
- Ouais, je parie que t'as même pas eu le temps d'y réfléchir et que t'avais juste pas assez de cran.
- Je vais prendre ça comme un compliment, même venant de ta part...
- Tu-Tu vois qque ce n'est p-pas si -rare qu'il en f-fasse ! Nan c'est jamais. S-si ! Nan.
Là c'était sûr, ce fameux ex-endormi avait un problème sérieux. D'une seconde à l'autre au cours de son monologue se résumant à "si ! nan.", ses expressions faciales et le ton de sa voix changeaient clairement. Lui-même ne semblait pas plaisanter, ou alors il lui aurait fallut beaucoup d'entraînement pour arriver à être aussi crédible et... surprenant. Et à nouveau, cela ne semblait pas étonner le rouquin, qui lui était toujours paniqué et la tête sur les épaules.
- Excusez-moi d'interrompre une si passionnante discussion, mais c'est pas le moment de se disperser !!
- Mais où-où on va d-d'ailleurs ?
- Ils ont préparé des fusées pour nous permettre de fuir !
- H-Hééé ? O-on va d-dans l'e-espace ? Enfin quelque chose d'intéressant.
- Vous sortez d'où... ? Enfin bref, au moins vous savez pourquoi faut activer !
- Et t'es sûr que tu ne cache rien ?
Un ton bien sérieux comme la seconde personnalité en avait le secret. Sûr, il avait compris, mais ça, le menteur voulait tout de même ne pas se faire griller, même s'il savait que c'était peine perdue. Qui ne tente rien n'a rien, non ? Alors tentons !
- Non...
- ... Menteur.
- Bon d'accord, d'accord ! Les insectes ont boosté et ont des canons à la place des bras.
Finit-il par lâcher, conscient qu'il n'était pas crédible, bien qu'il ne s'agisse pas de la première fois où un de ses mensonges ne passait pas. Soyons véridiques : ils ne passaient jamais, parce que de toutes façons, mentir à deux personnes à la fois c'est toujours plus difficile qu'à une seule personne. Tant pis advienne que pourra. Et en effet, tout comme il le craignait, son interlocuteur eut une nouvelle poussée de fan attitude : une paire d'yeux brillante, la bouche ouverte en rond, comme d'habitude quoi. En le voyant, le jeune homme aux cheveux rouges plaqua sa main droite contre son visage, dépité, et soupira.
- Oooooooooooooh !
- Et merde, je savais qu'il allait réagir comme ça.
- Moi aussi.
Le ton était parfaitement calme et sérieux. Il faut dire que venant de la personne qui avait découvert la présence du mensonge avant qu'il ne soit énoncé, forcément l'entendre de vive voix n'était point trop surprenant, malgré le fait que son contenu fut en effet assez étrange. Mais bon, canons ou pas canons, ça change pas grand-chose, à part pour ceux qui mourront sous leurs tirs : forcément, ça fait toujours con de mourir par la main d'un insecte, quand bien même ils ont muté génétiquement. Bon, par contre c'était moins calme du côté du fameux "menteur" qui répliqua, furieux et toujours aussi paniqué.
- Ça t'amuse de nous retarder ?
- C'est marrant.
- Tu comprends qu'on va crever tous les tr... deux ici ?
- D'un autre côté, tu trouve pas qu'on se sent bien ? Je sais pas si c'est l'adrénaline, mais j'ai l'impression qu'il y a quelque chose, à travers notre corps...
Il n'arrivait pas à mettre la main sur ce que c'était, mais c'était tout nouveau. Quelque chose qu'il n'avait jamais ressenti auparavant, et pourtant à deux on peut dire que leur corps en était passé par divers mélanges d'émotions plutôt surprenants. Cela dit, ça n'était pas désagréable, ça n'était pas douloureux, ou gênant... C'était assez vivifiant en fait. L'impression qu'une chose de plus venait de germer, quelque chose de vraiment bizarre, mais plutôt... comment dire... intéressant. Pour lui et ses expériences bizarres et tordues sur la vie humaine en tout cas. Sauf que bon, la façon dont il s'était exprimé pouvait prêter à confusion.
- REMBALLE CES IDÉES PERVERSES, ON EST PAS ENCORE CONDAMNÉS !!
- Hé oh, je parlais pas de ça qu'est-ce que tu crois !
Parce que cette fois, c'était sérieux, il ne plaisantais pas pour le taquiner. Il avait même pris une micro-seconde pour vérifier que c'était bien le cas et que ce n'était pas à cause de la fan attitude de l'autre qui était toujours dans son trip des Insectes Génétiquement Modifiés. En apprenant que ce n'était pas une blague, son accompagnateur se concentra à son tour. Il ne fallut pas trop longtemps pour se rendre compte que lui aussi sentait quelque chose d'étrange avec son propre corps.
- Maintenant que tu le dis... Moi aussi j'ai l'impression que ça me fait pareil avec le mien...
- Bon, au moins je sais que c'est pas de sa faute. J-j'ai fait quoi ? T'es juste en train de baver.
- C'est peut-être notre manque d'endurance aussi...
Un moment de silence s'ensuivit. Certes, pour des garçons, le sport avait été un peu mis de côté ces derniers temps, pour réviser leurs examens blancs qui approchaient à cette période de l'année. Pour une fois, ils s'y étaient mis -plus ou moins- sérieusement, et n'étaient presque pas sortis. De plus, même avant ces fameuses révisions, ils n'étaient pas du genre Mr. Muscles, ils étaient juste un peu sportifs, comme tout garçon qui se respecte quoi.
- Possible. O-on a pa-passé t-trop de temps à-à étudier...
- Don't give up ! Run for your life(s) ! Run for the live of everything !
- C'est pas un peu tard pour réviser notre anglais là ? En-en plus c'est toi qui a p-pas arrêté de nous dire qu'on-qu'on retardait tout...
- Je me suis juste dit que ça sonnait bien en tant que dernière phrase... Si l'humanité s'en sort, cette phrase pourrait rester dans les livres d'Histoire !
- Bah ce sera pas la dernière vu que tu viens d'en redire une. O-ouais.
Un silence se fit, on entendait juste le bruit de leur pas qui courraient sur le carrelage du pensionnat vide et isolé qui rendait incompréhensible le grabuge de dehors. Tout au plus pourrions nous croire qu'un étudiant avait malencontreusement oublié d'éteindre sa télévision, si ce n'était la scène aperçue par la fenêtre quelques instants auparavant. Et oui, les délires c'est bien, mais il ne faut pas oublier que c'est une situation de crise dehors. Revenons donc à notre délire, cela dit.
- Je vous hais.
- T'auras pas à nous supporter, longtemps, regarde on est sortis !
- Et bah c'est pas trop tôt, hein.
Un regard en coin leur fit comprendre que le temps qu'ils avaient mis n'était pas flatteur, mais aussi qu'ils ne s'en étaient pas encore sortis. Aux alentours, journalistes têtus s'affairaient, tandis que des policiers hurlaient et qu'une masse grossière de gens se précipitaient vers des installations au loin. C'était la cohue générale, des gens disparaissaient dans ce fleuve humain d'où étaient poussées des plaintes et des lamentations de tout âge. Le spectacle ne donnait pas vraiment envie de rejoindre ce troupeau difforme et sinistre, mais les nuages gris et la panique des agents, ainsi que les divers tremblements de terre semblaient annoncer un mauvais présage, celui que rester ici n'engendrerait rien de bon non plus, pour eux en tout cas.
- Et maintenant on va où ?
- Vous écoutez ce que je vous dis ? On va en fusée ! ET RETIENS TES COMMENTAIRES !
- C'est pour toi qu'il dit ça. H-hé !?
- Laissez tomber... Mais avec la foule ça risquerait d'être difficile de faire partie des heureux élus à s'en sortir... J'espère au moins que mes parents ont réussi.
Il examina les alentours, sa tête oscillant dans tous les sens. Même les installations étaient entièrement cernées par la population. A ce rythme, il serait plus simple de prendre l'avion et de partir le plus loin d'ici, plutôt que de partir en fusée... Mais est-ce que les avions s'envoleraient par temps pareil ? Il fallait se rendre à l'évidence, ils étaient coincés sur l'archipel et quitter carrément la Terre pour l'espace était la seule solution envisageable. Toujours aussi à l'ouest, son compagnon le regarda de haut en soupirant.
- Écoute, c'est pas vraiment le moment pour t'en faire pour tes vieux, là.
- Peut-être que toi tu t'en fiche, mais moi j'y tiens !
- Je ne m'en fiche pas, avant d'entrer au lycée j'ai créché avec eux je te signale. T-t'en fait pas, il veut juste pa-pas admettre qu'il a peur lui aussi... Hé !!
Il était assez rouge. M'enfin, à deux en étant sensé être la même personne, logique que l'on sache tout de l'autre. Et que l'on ait les mêmes émotions aussi. Donc pour la face timide, ce n'était pas très difficile de comprendre qu'il ne faisait que jouer les fiers. Certes, ils s'étaient embrouillés avec leur mère étant petits, mais elle avait été prise de remords juste après et s'était excusée -même si le mal avait déjà été fait et que désormais la cassure dans son esprit était devenue plus nette encore jusqu'à donner deux Ryôritsu super différents-. Enfin, même s'il avait un peu peur de se faire engueuler par son "double" pour avoir révélé ce "secret", il n'avait pas envie de passer pour un méchant, lui, et avait préféré exposer ses sentiments au grand jour, tant pis pour le reste.
- Enfin bon, peu importe... Une idée pour passer devant tout le monde ?
- ... J'ai une idée complètement stupide tout à coup. Mets-toi devant moi, comme ça...
Un silence accueillit sa première partie de réplique, il réfléchissait à ce qui venait de germer dans son esprit sans qu'il n'y soit pour rien. Quand à son interlocuteur, il écoutait sagement en silence en attendant que tombe cette idée : stupide ou non, ils n'étaient pas réputés tous les deux (ou trois) pour être des intellectuels réfléchis. Et puis là, lui il ne voyait aucune solution, lui, donc laissons parler l'autre, avec deux utilisateurs de cerveau, ça allait peut-être sortir une idée intéressante pour une fois. Une fois réfléchi il reprit et le saisit par l'épaule pour bien lui indiquer de se mettre bien en face de lui. Il ne ne sentait plus "lui-même" (ou plutôt "eux-même") et ne savait même pas ce qu'il était en train de faire, c'était quelque chose qui le lui dictait dans son esprit, mais ce n'était pas comme un parasite ou de la télépathie, c'était vraiment une sorte d'envie de faire ça, subite et inexplicable. Il appliqua sa main contre celle du front de son ami, qui se laissa faire, un peu surpris, se demandant si ce n'était pas une nouvelle blague et rougissant même un peu de l'apparence bizarre de la scène, mais préféra lui faire confiance. L'être à double personnalité ferma les yeux, la sensation de première fois était pour l'instant trop attirante pour lui faire réaliser toutes les informations qui entraient en lui. Sans s'en rendre compte, sa main gauche se tendit sur le côté et un cercle gris/blanc se matérialisa. Surprise générale. Autour d'eux, certaines personnes avaient remarqué également, mais trop pressées et paniquées, elles continuèrent d'avancer, en jetant quelques regards vers eux quand elles le pouvaient. Les deux (ou trois) adolescents quand à eux étaient bien trop interloqués pour se la jouer discret.
- Hé-- Hé, comment t'as fait ça !?
- J'en-j'en sais rien... La sensation n'a pas voulu partir et je sais pas, ça m'a donné envie de faire ça...
- Tu crois que c'est un truc de téléportation ou quelque chose du genre !?
Il fit un tour autour du portail. On ne le voyait que de face, il était invisible de côté ou par derrière, et autour, en guise de cadre tournaient lentement des cercles de mots, beaucoup trop pour pouvoir tous les lire. Les suites de mots disparaissaient puis réapparaissaient, dans les deux sens, plus ou moins clairs et nets et ne duraient en général pas bien longtemps. A l'intérieur on voyait une sorte d'univers de jeux vidéos bloqué, il y avait des parcelles de terre qui flottaient dans tous les sens et à tous les rythmes, et étrangement, ici semblaient vivre des êtres humains tout à fait normaux, ainsi que des animaux ou des plantes banales. Aucun ne semblait voir l'ouverture qui avait été créée, aucun ne semblait d'ailleurs faire très attention aux autres, à part quelques petits groupes. Ce n'était pas un monde effrayant, mais il était trop étrange pour être rassurant. L'air douteux, le créateur de ce portail répondit, un peu hésitant, pas dans sa voix mais dans ses yeux.
- Ça... y'a qu'un seul moyen de le savoir.
- Hé, tu vas vraiment y aller !?
- Ben ouais. C'est bien moi qui ai fait ce truc, c'est à moi de savoir ce que c'est...
Un moment de silence suivit sa réplique. Le rouquin avait peur pour lui s'il y entrait, et peur pour l'autre s'il y allait seul. Il n'y a rien de lâche à avoir peur, car on peut la comparer à de la prudence et le courage peut parfois être aussi dangereux. L'un et l'autre sont complémentaires, le tout c'est de faire le bon choix, ou la prudence deviendra de la lâcheté et le courage sera imbécilité. Il voulait y aller lui aussi, être l'un des premiers à découvrir cet autre monde, mais il avait trop peur de courir droit à la catastrophe ce faisant. Il serra les poings et balbutia.
- Je... J-je... v...
Il n'arrivait pas à le dire, décidément. Il avait comme l'impression que finir sa phrase mettrait terme à ses réflexions et le ferait définitivement choisir l'une des deux solutions. Il ne savait pas comment il devait la finir, il avait comme l'impression que réfléchir encore un peu l'aiderait à choisir, mais il ne savait si lorsqu'il aurait fini de réfléchir ce ne serait pas trop tard, il fallait agir maintenant. Voyant son hésitation, le châtain, qui avait définitivement pris sa décision, esquissa un petit sourire qui se voulait le plus sincère possible pour répondre.
- Je-je te force pas-pas à venir, tu sais...
Il ne reçut pas de réponse, son ami hésitait toujours, les poings serrés, fixant le sol. Il le savait qu'il n'était pas obligé de venir, c'était ça le problème justement ! S'il aurait été obligé, il l'aurait fait, mais là il n'était forcé à rien. Il devait prendre une décision qui ne reposait sur rien, aucune envie ne prévalait, rien ne le poussait à prendre l'une des deux décisions. Il voulait voir ce qu'il y avait dedans, mais ce n'était pas vraiment le bon moment pour ça. Après un petit temps d'attente, le châtain se décida.
- Bah, j'y vais, toi fais ce que tu veux.
Et il enjamba le rebords du cercle pour entrer. Sitôt qu'il fut à l'intérieur, le portail se referma. Surpris, celui qui était resté à l'extérieur se précipita pour entrer malgré tout, mais c'était déjà trop tard. Il tâta dans l'air, pour voir s'il n'y avait pas une distorsion, un bouton à réenclencher ou je-ne-sais-quoi, tout en tournant pour voir s'il elle n'était pas visible d'un autre angle. Rien.
- Att... ! Ryô...
Le pire, c'était qu'il l'avait laissé partir là-dedans et que comme l'entrée avait disparue, il ne pourrait peut-être jamais en sortir. Bordel, potes "à la vie, à la mort", ça voulait dire quoi !? C'est bien beau de se la jouer devant les surveillants et de s'éclater, mais dès qu'on passe à un niveau au-dessus il n'est même pas capable de sauter avec lui !? Au moins ils se seraient retrouvés coincés, mais ensembles ! Dignement !
- Pardon... !! Pardon Ryô, si tu peux m'entendre, pardon !!

III. Puisqu'ici c'est ailleurs ! Ailleursland.

Rien ne lui dit qu'il venait d'entrer dans une dimension parallèle. Il se sentait toujours pareil, aucun problème, pas de sentiment particulier, excepté le fait qu'il était surexcité à l'idée d'avoir mis les pieds là où personne de son monde ne l'avait fait, de découvrir des choses avant tout le monde, et surtout d'avoir lui-même ouvert l'accès à cet autre monde. Pourrait-il en ouvrir d'autres !? En tout cas, il avait déjà pleinement à découvrir ici ! Des morceaux de paysages, plus ou moins réalistes, apparaissaient et disparaissaient plus ou moins vites, de pleins de manières différentes. Des fois ils fusionnaient, ou disparaissaient en fumée, ou bien n'étaient plus là la seconde d'après. C'était comme un bâtiment où tout était en cours de construction à la fois et dont les engins de construction étaient invisibles. Lorsque le sol se dérobait sous quelqu'un, celui-ci continuait à marcher dans le vide ou à se tenir debout, immobile. En effet, partout dans le ciel il y avait des gens debout, peu marchaient, certains souriaient ou parlaient dans le vide, disparaissaient ou changeaient d'apparence. Mais aucun ne semblait particulièrement étrange en soi, ils parlaient normalement de petites choses du quotidien et ne semblaient pas particulièrement agressifs. D'autres si, mais en général ils ne s'attaquaient pas à personne. Pas à lui en tout cas.
Le ciel était actuellement gris. De lourds nuages l'obscurcissaient, mais il ne faisait pas froid, il faisait plutôt chaud, étouffant, malgré de forts vents. Fait étrange, personne d'autre que le jeune homme ne semblait remarquer ce temps, ceux qui parlaient continuaient, les solitaires se promenaient, certains en gros vêtements chauds, d'autres en tenues estivales, complètement indépendamment de l'atmosphère des alentours. Ce vent ne soulevait rien, ni les vêtements, ni les rideaux aux portes des fenêtres, ni les cheveux, il faisait juste un bruit léger, incompréhensible, très bas. Une bourrasque balaya l'endroit, mais rien ne bougea non plus, l'herbe ne plia même pas. L'étranger tenta de se protéger, mais remarqua qu'il ne sentait absolument pas ce vent, ni ses vêtements d'ailleurs. En revanche, ce fut comme s'il s'engoufra en lui, il se sentit, l'espace d'un instant, abattu et paniqué. Cela ne dura que quelques secondes et la bourasque continua au loin après l'avoir traversé. Surpris, il la regarda un moment continuer sur son passage avant d'entendre une voix assez familière près de lui et de se retourner. Un inconnu était devant un enfant dont il cachait le visage par sa silhouette imposante, tous les deux se trouvaient près d'un mur, et à vrai dire l'adulte l'empêchait de partir.
- Arrête tes bêtises, maintenant ! Tu te fiche de moi, c'est ça ?
- Hé, c'est vous qui n'allez pas bien le vioque ! A-attends...
Il s'était approché de lui et lancé ceci d'une voix forte. L'homme était de dos et semblait assez âgé, ce n'était donc pas lui le premier qui lui ferait peur - pas à cette personnalité en tout cas. La seconde restait plus en retrait, le fait de ne pas avoir osé agir de suite l'avait poussé à réfléchir un moment à cette silhouette qui lui semblait si familière. A ce moment, l'homme se retourna et les toisa, les sourcils froncés. Ils ouvrirent des yeux ronds comme des soucoupes.
- Oui ? Qu'est-ce que vous voulez vous !
- Donchar ! Le vieux concierge de primaire !
- Qu'est-ce que c'est que cette familiarité ?
- Hé ? Je te signale qu'on est adu... A-attends, je te rappelle qu'on est pas chez-chez nous là.
Il faisait référence à leur monde : forcément, cela ne pouvait être que le double de ce concierge, le double d'autre monde, un sosie ou je-ne-sais quoi... Ce genre d'histoire était courant dans les mangas, le fait qu'une personne existait en plusieurs exemplaires, un pour chaque monde parallèle. Cela dit, autour d'eux tout avait changé et le paysage était devenu tel que leur ancienne école, dans un couloir qu'ils avaient connu. Pourtant, ils étaient sûr de ne pas être entré dans ce qui ressemblait à une école ou un quelconque bâtiment pouvant contenir ce couloir. En fait, ils ne se souvenaient même pas avoir fait attention au paysage avant de lui parler. C'était comme si il s'était construit au fur et à mesure qu'ils avaient prêté attention à la scène. Cela dit, ils n'avaient pas le temps de réfléchir là-dessus.
- Alors ? Vous êtes ? Pff, peu m'importe, vous irez tous les deux chez le proviseur !
- Et vous, vous êtes toujours aussi sur les nerfs, sale cinglé ! A-attends... On ne l'a-l'a pas vu depuis des années... Pou-pourquoi il n'a pas changé !?
En effet. Presque dix ans qu'ils avaient quitté l'établissement, et le fameux concierge ne semblait pas avoir pris une ride. Pire encore, cette attitude, ces phrases même... Elles lui rappelaient trop de choses, c'était comme si un souvenir était joué devant lui. Leur interlocuteur grinça et reprit après un petit moment de perplexité.
- J'vois qu'vous commencez à avoir des crises de délire, vous aussi. J'me doutais bien qu'ceux d'votre ami s'raient contagieux !
- Comment ça, "commencez"... ? Ami... ?
Il avait parlé très lentement. Cette fois, c'étaient les deux à la fois qui avaient ouvert la bouche et pensaient pareil. L'effet de dé-concertation produit sur eux était tel qu'ils étaient pratiquement devenus, l'espace d'un instant complètement identiques, "un".
- Il vous arrive quoi, l'rouquin !? J'parle de ce Ryôritsu, bien sûr, et sa bizarrerie mentale.
Il s'écarta pour montrer l'enfant qu'il cachait : yeux bruns, cheveux châtains... Et il ne semblait même pas voir sa ressemblance frappante avec le Ryô plus grand que lui, à deux mètres. Lui, il semblait voir quelqu'un d'autre, et les reflets dans ses grands yeux indiquaient à sa version "grandie" qu'il n'avait pas tort en voyant quelqu'un d'autre.
- D-dis... Je crois que... qu'i-qu'ils nous prennent pour... Mais pourquoi ? Pourquoi notre version "d'avant" passe bien pour nous, et nous... Tu-tu... te souviens ? Co-comment on a ouvert ce "monde"...
Le volume sonore de la première personnalité était très bas. Même s'il avait comprit à force de rester de côté et de réfléchir, c'était toujours difficile à dire, et l'autre n'avait pas encore compris étant donné qu'il était trop interloqué pour aller chercher dans les pensées de l'autre la réponse. Mais lorsque celui-ci l'avait questionné, il avait comprit de lui-même, même si c'était encore dur à croire.
- Tu veux dire qu'on... qu'on est dans...
Un silence, le fait de sentir qu'il avait raison puisqu'il partageait les pensées de l'autre lui suffit. Il restèrent immobiles, le visage décomposé, à fixer le vide avec intensité. Même dans leur esprit il n'y avait qu'une seule pensée de présente : ils se trouvaient dans la tête de leur ami d'enfance. Cela ne changeait rien en apparence, mais pour eux, en être conscient ça changeait tout. Ils avaient comme l'impression d'avoir foulé un territoire interdit et privé. Comme si ils n'avaient pas le droit d'être là. Comme si le moindre de leurs faits et gestes pouvait tout faire basculer. Pour l'instant, ils voulaient sortir, sortir et ne plus jamais revenir, cette excitation et soif de découverte s'était changée en dégoût pour eux-même et leurs fait et gestes, leur sans-gêne, leur imbécilité, leur inconscience.
- Désolés, désolés !
Et ils s'enfuirent de la scène. Le paysage de primaire semblait s'être effacé alors qu'ils n'y faisaient plus attention, et ils s'étaient contentés de courir, courir droit devant sans un regard pour ce qui se trouvait autour. Une sortie, il fallait qu'ils trouvent une sortie, et vite sinon ils allaient faire une crise d'angoisse. Tout d'un coup, ses jambes s'arrêtèrent toutes seules et il tomba à la renverse.
- Attends, on a bien ouvert un portail pour entrer non ? On doit pouvoir en faire un pour sortir ! M-mais... Moi non plus je sais pas comment on fait, mais on ne savait pas non plus comment le créer au départ, et on a réussi ! Laisse-toi faire, ça devrait marcher.
A nouveau, concentration. Il prit une grande inspiration et essaya de faire le vide pour mieux recevoir ces mystérieuses instructions. A nouveau il eut une envie qui dicta ses gestes : il posa la main droite sur son cœur et sa paume gauche ouverte devant lui. Comme s'il l'avait toujours fait des millions de fois, le même type de portail s'ouvrit. A travers, on voyait une sorte de vaisseau étrange, et des bruis de combats se laissaient entendre. Peu importe si ce portail ne le ramenait pas vraiment dans son monde, tout était bon pour sortir d'ici ! C'est sans hésitation qu'il le traversa.

IV. Reviens à la réalité, s'il te plaît.

*Blaff'* Il tomba perpendiculairement au sol. Apparemment, le portail s'était ouvert quelques mètres au dessus du plancher des vaches... ? Pas vraiment en fait, il s'agissait d'une espèce de plancher métallique étrange où résonnaient des bruits de pas précipités et des bruits plus lourds, comme des corps tombant sans énergie. Mais pour lui, le plus important n'était pas là, mais ce sur quoi il avait atterri.
- Ry-Ryô... ?
- Wouaaaah ! Désolé, désolé, désolé !
- Pou... pourquoi tu t'excuse ?
A la ramasse, son ami de toujours, ne semblait pas en revenir d'encaisser la chute de son ami sans même faire exprès, et n'en revenait pas non plus que celui-ci le prenne dans ses bras en pleurant et en s'excusant, le visage ravagé par une angoisse qui avait encore du mal à partir et un soulagement trop fort qu'il n'y croyait pas.
- Tu... tu comprendras peut-être pas, mais désolé quand même !
- Je...peux savoir au moins pourquoi... pourquoi vous pleurez... ? Tous les deux... ?
- Je pleure pas moi, c'est l'autre qui... Men-menteur !
Et malgré leur dispute, les larmes ne s'arrêtaient pas. Ils avaient l'impression d'être de retour en enfance, lorsque le petit garçon a comprit qu'il a fait une faute tellement grave qu'il va de lui-même pleurer auprès de ses parents pour leur dire et se faire excuser. Dans tous les cas, même la psycho se sentaient l'âme de ce petit garçon, bien qu'elle voulut rejeter la faute sur l'autre. Il avait mal à force de pleurer comme ça depuis longtemps, mais pour rien au monde il n'aurait contenu leur flot qui l'aurait fait exploser à un moment ou à un autre. Tant pis, ça arrive même au plus durs de craquer, c'est pour ça qu'on est humains.
- Ça devrait être à moi de pleurer...
- Quoi ? Pou-pourquoi tu d... T-- c'est quoi ce sang ?
Ses mains s'étaient parées de rouge sans qu'il ne s'en aperçoive, d'où le choc de les voir comme ça apparaître tout à coup mouillées de ce liquide vital. Pour être claire, il ne vit que sa main droite, la seconde soutenait toujours son meilleur ami. C'est cela qui le fit baisser les yeux sur son corps : il était ensanglanté. Sur le côté de son ventre, sa veste était entaillée et se confondait avec la plaie en dessous de celle-ci. La blessure était béante et la quantité de sang qui s'en écoulait n'était pas des moindres. Sa face timide n'osait pas plus regarder et détourna son attention de ce flot, tremblant et livide.
- Si je n'avais pas triché pour entrer là-dedans... Ce serait quelqu'un d'autre à ma place... Je me suis fait avoir finalement...
- Pourquoi... ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ici ?
Un tir suivit de suite sa dernière réplique. Il entendit un cri derrière lui mais n'osa pas se retourner. Son cœur battait à tout rompre, tant qu'il lui faisait mal à la tête. Un instinct lui hurlait de tout lâcher et d'aller se recroqueviller dans un coin de la fusée. De fermer les yeux, de se boucher les oreilles et de se couper de tout ça. Mais il était paralysé par la peur, dépassé par les évènements, tout ce qu'il trouva a faire c'est de rester immobile, son ami dans les bras, les mains trempées du sang de celui-ci.
- Tu vois, ce sont tes fameux Insectes Génétiquement Modifiés... J'ai mal joué, j'ai perdu face à ces trucs...
- C'est pas possible... Ces choses !? Ça peut pas... C'est pas possible...
Non... Il n'arrivait pas à croire que ces trucs étranges qu'il voyait du coin de l'oeil à travers la foule d'adolescent à côté était ce sur quoi ils avaient plaisanté il y a moins d'une heure. C'était impossible que tout ait dégénéré à ce point... Pourquoi leur avait-on dit de monter dans ces maudites fusées si c'était pour en arriver à ça ? S'ils étaient restés là... à se tourner les pouces... devant l'école... ça ne serait peut-être jamais arrivé ! Ils auraient trouvé un moyen de se planquer et de quitter l'archipel ! Il ne pouvait pas mourir comme ça ! Ils s'étaient fait trop de projets, trop de promesses ! Et leurs idées de métiers ? Et leurs projets de vacances ? Et leur statistiques sur l'examen ? Et leur concours à qui trouvera une copine le premier ? A quoi ça sert si on meurt aussi facilement, en quelques minutes tout part !
- J'veux pas... j'veux pas mourir...
- Et tu ne mourras pas, il doit bien y en avoir un qui peut soigner, ici, non ?
Il releva la tête et tenta de voir si autour personne ne s'occupait des blessés. Non, ils étaient tous occupés à se battre contre ces monstres qui avaient envahi le vaisseau. Lui il était quand même à quelques mètres, mais il nageait dans un océan de cadavres. Ses jambes étaient trempées de sang et une odeur atroce commencait déjà à se répandre, si infâme qu'il se demandait lui-même comment il avait pu ne pas le remarquer plus tôt.
- Et pourquoi... ils s'occuperaient de moi, hein... ? Y'a trop de blessés... J'ai même pas de magie pour les aider...
Il était au bord des larmes d'avoir à admettre tout ça de vive voix. Il ne voulait pas mourir, quand bien même il avait mal, il se battait pour gagner encore quelques minutes de survie dans cet enfer. Il ne voulait pas non plus mourir connement en croyant qu'un medecin allait surgir de nul part au dernier moment et lui dire que ses jours n'étaient pas en danger, il savait que son état était trop grave pour survivre sans soins. Il savait qu'il n'en avait plus pour longtemps, mais refusait de jouer aux héros et leurs discours à l'aube de la mort, il voulait qu'on sache qu'il ne mourrait pas de gaieté de coeur comme un lâche, mais il ne voulait pas perdre la tête et partir en laissant de lui l'image d'un cinglé qui croit qu'il va s'en sortir. De son côté, son meilleur ami pleurait toujours et sanglotait, il avait du mal à parler, mais il savait que tout ce qu'il avait à dire devait être dit, le plus vite possible avant la fin.
- Tu peux pas... tu peux pas mourir alors... Tout à l'heure... Tout à l'heure.... t'allais très bien !
- Tu crois que ça me fait plaisir... ? Si ça te plaît pas... T'as qu'à vivre à fond pour pas mourir aussi vite sans avoir rien fait... !
- C'est facile de me dire de vivre à fond, mais comment tu veux que je fasse ? J'oublierai pas aussi vite !
- Depuis... depuis quand tu as du mal à séparer quelque chose en deux ? Tu n'as qu'à être les deux à la fois !
- T'y-t'y connais rien d'abord ! C'est pas moi qui choi-choisi !
- Fais ce que tu veux alors, je te demande juste de pas te morfondre sinon... sinon ça servira à rien que toi tu sois là et pas... pas moi !
- Hé, les crétins, crevez en silence s'il vous plait !
Un adolescent derrière lui avait parlé d'un air sarcastique. Tout chez lui, sa posture, l'aura qu'il semblait émaner, ne donnait qu'une envie à Ryô : lui balancer son poing dans la face. De quel droit se permettait-il ce commentaire ? Pour une fois, tout son être réagissait et pensait de la même manière, complètement empli de sa mauvaise personnalité.
- Tu peux répéter ça ?
- Oh, tu ne m'as pas compris ? Si t'es pas foutu de venir nous aider et que tu préfère te tapper ta scène en solo avec ton pote, t'es juste un crétin qui a vu trop de film et qui est inutile.
Sous la colère, après avoir posé son ami par terre, il balança sa jambe en direction du visage du moqueur, qui, bien que surpris, l'intercepta sans effort. Les mains de l'inconnu attrappant sa cheville, il reprit avec un coup de poings dans le ventre, qui ne pouvait donc pas être paré cette fois. Il n'avait pas réflechi, et le combat ce n'était pas son truc, mais c'était tout ce qu'il avait pu réfléchir à.
- Arrête...
- Ah, tu crois que je vais t'écouter, bon sang !? Espèce de sal...
- Arrête je te dis ! Tu te fous de ma gueule !? Pourquoi j'arrêterais, c'est lui qui...
Ryôritsu ne parlait pas à cette grande perche sans le moindre sentiment, mais à lui même. Il s'était à nouveau séparé mentalement grâce au coup, et sa partie innocente refusait de se battre. Ce n'était pas pour protéger cet inconnu, mais parce qu'il n'en avait pas la force, ce n'était pas le moment, il ne voulait pas gâcher les derniers instants de son meilleur ami en se disputant devant lui, il y avait mieux à faire. Il s'assit de nouveau à côté de lui, ignorant l'autre, le prit dans ses bras et le tins fort contre lui. Il ne savait pas comment aider ceux qui se battaient. Il ne voyait même pas tout ce qui se passait autour de lui.

V. Laissez-moi juste être quelqu'un.

Le temps s'était arrêté. Il ne sut pas exactement quand le corps qu'il tenait dans ses bras se retira à la vie. Il resta parfaitement immobile, il ne savait même pas à quoi il pensait. Non, il ne pensait à rien. Il ne se souvint pas d'être sorti de la fusée, d'avoir assisté à la défaite des monstres, ni quoique ce soit d'autre qu'on lui raconta ensuite. Il passa un mois et deux semaines dans un état second. Les dix premiers jours, son corps qui était toujours en mouvement semblait arrêté, se contentait de se maintenir en vie, de respirer et d'avaler sans grande conviction la nourriture qu'on lui apportait. Il était pris dans de grands tourments psychologiques, étant une personne déjà très fragile mentalement. Il posait problème au personnel, que faire de quelqu'un d'aussi inutile ? On n'en avait pas besoin quand la survie était de mise. Et puis il finit par revenir à la vie, petit à petit. A échanger quelques mots avec les gens, comme une personne normale. Je dis bien une? Sans grand caractère, en état léthargique et sans grande énergie, ses deux personnalités semblaient être encore endormies, c'était comme s'il ne restait que le "vrai" Ryôritsu lorsque ni l'une ni l'autre ne s'exprimait. Un homme banal, simple, sympathique. Petit à petit, il disparut de nouveau derrière ses deux amis, tout revenait à la normale, son esprit se soignait maintenant que le corps s'en était sorti. Un mois et deux semaines depuis le crash de la fusée. La pension était construite, à présent. Il demanda une place de psychologue, ce qui gêna les autres personnes. Il n'était pas très sain d'esprit, cela ne servait à rien de lui donner ce poste, il ne pourrait rien accomplir de bien. Pourtant, une personne accepta de lui faire confiance...
- Oui, vous pouvez entrer.
Il appuya sur la poignée et poussa la porte, vêtu assez chiquement, d'un costard brun pour faire bonne impression, mais le regard fuyant.
- Oh, n'êtes-vous pas ce garçon envoyé à l'infirmerie depuis l'atterrissage ? Je suis surprise de constater que vous allez déjà mieux, mais ça me soulage.
Ryô s'arrêta un instant, baissa la tête, les yeux embués de larmes qu'il ravala. Il se sentait toujours mal quand il voyait qu'on s'intéressait à lui et à son état, surtout quand il avait posé autant de problèmes. Mais il n'était pas venu dans le bureau de la directrice pour se montrer.
- Oui bonjour, je... Je viens demander un poste de psychologue dans la pension.
Elle le considéra un instant, ce silence lui parut durer des heures. La jeune femme paraissait tellement plus mature que lui que ça l'en gênait. Sans doute que comme on lui avait déjà rétorqué, elle refuserait, il était trop fragile, trop étrange pour pouvoir essayer de comprendre l'esprit des autres. Mais il voulait essayer, peut-être ne savait-elle pas, pour son dédoublement de personnalité. Il l'entendit rire. Il sentit son cœur s'arrêter sous la surprise. Elle s'approcha et lui releva le menton. Elle qui se trouvait bien plus petite, elle qui était encore plus frêle que lui, leur différence ne fit que s'amplifier, elle le regarda dans les yeux et lui parut tellement plus âgée.
- Eh bien c'est d'accord. Il est vrai que je n'en ai pas et que les temps sont durs à supporter mentalement pour la plupart d'entre nous, alors j'accepte. Bienvenue dans le personnel, monsieur... Comment est-ce déjà ?
- Photo... Photofiltre. Ryôritsu Photofiltre.
- C'est un nom peu courant. C'est français non ? Ah, je m'égare. Eh bien bienvenue, Photofiltre-kun.
- Ryôritsu, je préfère... C'est pas un nom de famille qui sonne très bien.
- Bien alors je vous souhaite bonne chance, Ryôritsu-kun.
Elle sourit, il lui sourit en retour, un peu gêné. C'était une femme merveilleuse, et il ne disait pas ça par quelconque sentiment amoureux pour elle qu'il aurait pu avoir, mais par respect, honnêtement. Il se sentit mal de lui cacher son problème mental, sur le coup, il voulut partir au plus vite. Il se détourna d'elle après un au-revoir étouffé, mais le temps de traverser la salle et d'ouvrir la porte, et il s'était ravisé. Il n'osa pas se retourner, il resta dos à elle, la main sur la poignée, immobile.
- Mademoiselle... Non, je ne mérite pas ce poste, en fait.
- Pardon ? Comment le savez-vous ?
En lui, il sentait sa mauvaise personnalité l'engueuler, lui dire de ne pas tout gâcher, tant pis, un petit mensonge ne tue personne. Mais non, il ne pouvait s'y résoudre à faire ça à quelqu'un comme elle ou il ne serait jamais pleinement satisfait d'avoir obtenu ce poste. Il se retourna et la fixa dans les yeux au prix d'un intense courage, la voix cassée.
- J'ai un dédoublement de la personnalité, et encore même parmi eux je suis un cas à part. Vous voyez, je n'ai pas un mode de pensée comme les autres, je ne pourrais jamais vraiment aider qui que ce soit, pardonnez-mo...
- Elle mis un doigt sur ses petites lèvres de jeunes filles, il se tut immédiatement. Elle ne perdit pas son sourire.
- Je sais, Ryôritsu-kun. Mais il faut parfois avoir du recul sur certaines choses pour aider les autres. Vous avez traversé de forts problèmes psychologiques, je pense que vous êtes à mieux de savoir écouter les autres et de consoler les personnes "différentes". Je compte sur vous.
Était-ce la bonne décision qu'elle avait prise ? N'était-ce pas l'idéalisme de cette enfant qui parlait ? Il ne savait pas. La discussion se termina ainsi. Il ne se souvint pas de ce qu'il a dit ensuite, cette phrase l'avait assommé mentalement. Il a juste le vague souvenir de s'être peut-être mis à pleurer, de joie sans doute.